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Une première mondiale dans l’univers des actifs digitaux. Nous suivions déjà la BCE et la banque centrale de Suède dans leur projet de devise digitale. C’est cette fois la Banque Européenne d’Investissement (BEI) qui innove et émet la première obligation digitale syndiquée pour 100M €. L’entrée en scène de ce poids lourd chez les émetteurs obligataires est tout sauf anodin à plus d’un titre. Décryptage d’une innovation qui pourrait faire date.

 

Conjuguer monnaie traditionnelle et actifs digitaux

Comment proposer une obligation digitale syndiquée aux investisseurs, leur permettre de l’acheter en Euro, tout en utilisant une Monnaie Digitale de Banque Centrale (MDBC) pour le règlement ? C’est à cette tâche ardue que se sont attelés la BEI, la Banque de France et un syndicat bancaire composé de Goldman Sachs, Société Générale et Santander.

L’expérience BEI/Banque de France fait passer le schéma classique d’émission obligataire à l’ère « crypto » :

  • En créant un bond digital inscrit sur une blockchain (ou DEEP en français, pour Dispositif d’Enregistrement Electronique Partagé)
  • En utilisant une MDBC comme moyen de paiement en échange de la livraison de l’actif digital.

Au-delà de la traçabilité des transactions offerte nativement par la blockchain, la digitalisation de plusieurs maillons de la chaine d’émission permet également d’accélérer le processus de livraison des actifs.

Un des intérêts de la transaction BEI est de rendre transparente la mécanique « crypto » pour l’investisseur. L’aspect technologique est en effet porté par la Banque de France et SG FORGE.

  • La Banque de France émet un montant de devise digitale en échange des Euros collectés auprès des investisseurs.
  • Ce montant est transféré dans le portefeuille de devise digitale de la BEI.
  • En échange, la BEI « émet » l’obligation digitale qui sera déposée dans le portefeuille digital des investisseurs.
  • Les opérations faisant intervenir des portefeuilles digitaux sont gérées par SG FORGE et validées sur la blockchain.

 

Une obligation digitale sous forme de smart contract

L’obligation digitale émise dans le cadre de cette opération prend la forme d’un smart contract sur la blockchain publique Ethereum. Ce code partagé reprend les éléments de la documentation juridique de l’émission classique. L’exécution du smart contract peut par exemple déclencher le transfert de l’obligation digitale vers le portefeuille de l’investisseur ou un paiement de coupon. Comme le veut l’expression répandue dans l’univers de la blockchain « code is law ». Les résultats de l’exécution du code ne sont pas plus discutables que le contenu du prospectus.

Le développement de cette émission sur une blockchain publique est un évènement en soi. Les transactions seront donc visibles par tous les participants à Ethereum, même si l’identité des acteurs reste protégée derrière les adresses « publiques » des portefeuilles digitaux. Si l’opération est un succès technologique, la crédibilité d’Ethereum en tant que solution blockchain institutionnelle s’en trouvera grandement renforcée.

 

Pourquoi ce test ?

De manière évidente, l’intérêt de ce PoC ne réside pas dans l’aspect financier de la transaction. En effet, le montant levé est très faible (100M €) et les conditions de crédit sont de toute façon extrêmement favorables aux émetteurs, « digitaux » ou non. Pour preuve, l’émission digitale basée sur un coupon de 0% et un prix d’émission de 101.213% propose aux investisseurs un rendement de -0.6%. Même la puissance de la finance digitale ne peut rien contre les taux négatifs…

L’innovation se situe plus dans l’aspect technique de la transaction.

D’une part, l’utilisation d’une MDBC pour le règlement d’une opération financière reste innovante.

D’autre part, grâce à la blockchain, la rapidité de livraison des titres (quelques minutes au lieu de quelques jours) contre paiement permet d’entrevoir un univers financier ou les titres circuleront – réellement – entre portefeuilles de façon quasi instantanée. Un sujet d’importance pour la stabilité du système financier comme l’a encore montré la saga Robinhood de ce début d’année.

Denis Pantel

Partner