C’est le phénomène des marchés de capitaux de ce début d’année. Du Japon aux Etats-Unis en passant par la Zone Euro, les taux d’intérêt long terme repartent à la hausse.
Quelles sont les raisons de cette remontée? Quels en sont les impacts pour la fonction Finance, notamment pour la gestion de la dette ?
Un retour de l’inflation dès 2021 ?
La remontée des taux est la manifestation d’une configuration inédite.
D’une part, la crise du Covid a déclenché des plans d’aide sans précédent. D’autre part, la promesse de vaccinations massives laisse entrevoir à certains une reprise économique rapide.
Aux Etats-Unis, 16% de la population est déjà vaccinée. Pour soutenir la réouverture de l’économie, l’administration Biden lance un nouveau plan de relance de 1900 Mds$. En Europe, les pays membres vont bénéficier de 700 Mds€ d’aide supplémentaire de la Facilité pour la Reprise et la Résilience.
Ces plans de soutien trouveront ils leur chemin jusqu’au consommateur final ? C’est ce que les mesures des prix à la consommation – en hausse – tendent à montrer. Ainsi l’inflation augmente de 1.5% sur un an aux Etats-Unis et s’établit autour de 1% en Zone Euro. Autre manifestation intéressante : les matières premières liées au transport et à la construction connaissent un début d’année retentissant.
Des taux réels encore négatifs et des autorités vigilantes à toute hausse excessive
Il faut néanmoins garder la tête froide…
Tout d’abord, les taux réels restent aujourd’hui nettement négatifs : le taux 10 ans allemand corrigé de l’inflation s’établit sous -1.5%. Les taux ont encore une marge de progression à la hausse importante.
De plus, dans un contexte d’explosion des dettes souveraines, les autorités restent prudentes. Fabio Panetta, membre du directoire de la BCE, l’a rappelé très récemment dans un discours à l’Université Bocconi. La BCE se tient prête à muscler ses programmes d’achat d’actifs s’il fallait contrecarrer le mouvement de hausse.
Une remontée des taux pourrait signifier une charge d’intérêt d’emprunts déraisonnable pour des pays fortement endettés. Le chancelier de l’échiquier britannique estime à 25 Mds£ le coût annuel d’une hausse de 1% des taux britanniques.
Les maturités courtes ne sont pas impactées
Insistons bien pour commencer sur le fait que ce mouvement ne concerne que la partie longue de la courbe des taux. Les placements de trésorerie et de financement à court terme ne sont donc pas impactés à ce stade.
D’un côté, nous savons que la majorité des placements de trésorerie reste dans les limites d’IAS 7. Des maturités de quelques mois sur des supports sans risque ne ressentent aujourd’hui aucun effet de ce mouvement de taux.
D’un autre côté, la dette à court et moyen terme reste caractérisée par une très forte demande des banques et des investisseurs. Les spreads de crédit sur les nouveaux emprunts restent historiquement très faibles. Ceci se constate sur les crédits bancaires comme sur les financements de marché. En particulier, nous notons des conditions toujours très compétitives sur le marché monétaire que nous suivons dans le cadre de l’Observatoire du NeuCP.
Une opportunité pour le pre-hedge des financements à long terme ?
La gestion de taux revient sur le devant de la scène. En ligne de mire : le refinancement des prêts garantis par l’Etat (PGE) qui va se traduire par un besoin de nouveaux financements. Les Corporates devront donc prendre des décisions impactantes pour le coût de leur dette.
Malgré un contexte qui pourrait pousser à fixer la dette, certaines directions financières se déclarent réticentes. Force est de reconnaitre que le marché a plusieurs fois espéré en vain une potentielle remontée des taux. Par conséquent, certaines DFT ont pu regretter d’avoir fixé leur dette à un niveau jugé trop élevé, ou d’avoir sécurisé le taux d’une obligation à venir (« pre-hedge »).
Si l’on s’attarde sur le pre-hedge, il est possible de faire deux observations :
- Depuis le T3 2019, les taux à moyen terme n’affichent plus de tendance baissière. Ainsi le taux de swap EUR 5 ans oscille entre -0.5% et -0.3% avec une poussée « Covid » vers -0.20% en mars 2020.
- La courbe de taux EUR est plate, le portage offert par la variabilisation est donc marginal par rapport au risque de hausse (~0.20% par an sur 5 ans). Autre conséquence d’une courbe plate : les départs décalés de couverture dans le futur sont peu coûteux. Pour rappel, la différence entre un départ immédiat et un départ futur dépend de la pente de la courbe.
Quelques exemples concrets
Dans ce contexte, le pre-hedge a l’avantage de donner une certitude sur le taux de référence d’une future émission pour un coût marginal. Deux exemples de structure :
- Fixer sur 6 mois le taux d’une émission à 5 ans coûte 0.06% par an par rapport au swap 5 ans départ spot (-0.26% au lieu de -0.32%). En d’autres termes, un coût de 60 k€ par an pour un emprunt de 100 M€. En comparaison, la variation réelle sur 2 mois du swap 5 ans s’établit à 0.15% !
- Il est également possible d’encadrer la valeur du swap EUR 5 ans sur les 6 prochains mois. Une stratégie de tunnel d’options à coût nul permet au Corporate d’encadrer le swap EUR 5 ans entre -0.10% et -0.38%.
Précisons que ces deux stratégies sont déjà des pratiques de marché éprouvées et éligibles à la comptabilité de couverture.
Le pré-hedging semble donc une solution attractive pour rallonger la visibilité des entreprises sur le coût de la dette nette.
Et s’il s’agit d’un nouveau mouvement de marché sans lendemain? L’histoire récente prouve que c’est possible. Cependant, la comparaison des impacts entre hausse et baisse des taux plaide plutôt pour la prudence.
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